Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
En cò de Mòni
10 février 2006

Instant

Il arriva chez nous un soir de semaine, ou peut-être un dimanche -il faudra excuser ma mémoire hésitante, nous étions une famille sans histoires, où toutes les histoires se ressemblaient. Un foyer de quatre enfants, sages mais sans trop, et deux parents aimants et discrets. Le temps s’écoulait sans accoups, imperceptiblement, comme entièrement absorbé par la tâche de rétrécire nos pantalons afin d’aérer un peu nos armoires à la nouvelle saison.

 

De ce soir-là je me souviens comme d’une photo d’enfance, ou plutôt comme d’un seul mouvement au milieu d’une interminable photo d’enfance.

 

Nous n’attendions personne, pas plus que la veille ni les jours précédents, pourtant nous n’avions pas été étonnés d’entendre frapper à la porte. Nous avions l’habitude des témoins de Jéhova et des marchands d’aspirateurs, salons en cuir ou encyclopédies, que ma mère éconduisait gaiment, à moins que la voisine ait laissé choir quelque chaussette sur notre balcon, ou qu’elle ait besoin du tire bouchon, d’un oeuf, d’une pincée de sel...

 

L’exclamation de ma mère avait fait brusquement cesser tous nos jeux.

 

Évidemment, j’ai conscience que le terme « exclamation » est bien fade, je m’en excuse, j’avoue qu’aucun mot ne me vient pour pour vous dire ce cri de ma mère, ce son hors de notre monde, surnaturel. Notre temps s’était arrêté, la terre tremblait, il se passait à la porte de la maison un chose insensée, c’est à dire une choses qui n’entrait pas dans le sens de nos possibles. Je me souviens que nous étions quatre enfants figés, bouleversés, interdits, n’osant s’avancer vers cette rupture du monde.

 

C’est ma mère qui mit un terme à cet instant de fin du monde. Elle entra dans notre chambre, suivie d’un monsieur.

 

« Les enfants, je vous présente votre oncle Fernand. »

 

J’aurais bien du mal à vous décrire ce visiteur extraordinaire tel que je le vis à ce moment. À vrai dire, je ne revois de lui qu’une ombre, tant ma mère occupait tout l’espace. L’expression de son visage était inconnue. Pour rayonner comme elle rayonnait à cette seconde, le soleil aurait besoin d’avaler toutes les étoiles. Elle souriait de la pointe des orteils jusqu’au bout des cils, tout son corps était un visage qui souriait et l’ai autour d’elle souriait et je sentais ma peau-même qui participait à son sourire.

 

Évidemment, c’est juste un petit moment de mon enfance, nous avons par la suite appris l’histoire de tonton Fernand, son départ, son absence, toutes ces années où ma mère nous avait tu son existence ne le sachant ni mort ni vivant. Cette histoire-là s’est peu à peu glissée dans notre monde, bientôt oncle Fernand n’a plu été qu’oncle Fernand, oncle Fernand sur notre photo immobile.

 

Mais je garde en moi cet instant où l’univers se fendit, et par la fente de l’univers s’est écoulé le sourire de ma mère qui me remplit le coeur à tout jamais.

Publicité
Publicité
Commentaires
En cò de Mòni
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité