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En cò de Mòni
2 juillet 2009

Un objet qui te veut du bien

Je suis un petit objet de matière plastique de forme circulaire.
Posé sur ta table de chevet, je gis comme une promesse que la vie tarde à tenir.
Pour l'instant, je ne te sers à rien, aussi ne m'as-tu pas sorti de mon étui.
Cela fait si longtemps que j'attends là, dans mon emballage de plastique translucide !
Je me souviens du jour où tu m'as acheté. Je te revois, tourner et virer dans le rayon du supermarché. Hésiter, t'approcher, me prendre, me reposer (« à quoi bon »), t'éloigner, revenir sur tes pas, me saisir à nouveau (« on ne sait jamais »), me poser finalement dans ton panier, subrepticement, en prenant soin de me dissimuler piètrement sous le reste de tes maigres achats.
Un sourire malicieux. Une bouffée d'espoir. Un instant d'audace.

Mais ça n'a pas duré.  Tu m'as posé là, sur ton chevet.
Et puis, plus rien.
Tu restes là de longues minutes, des heures, des journées, des semaines peut-être. Ton œil accusateur me reproche mon impuissance. Ton impuissance !

C'est vrai que je n'ai pas su te porter la chance que tu attendais de moi.
Ah, ce regard ! Comme il me transperce et comme il me fait mal !
Toi, tu crois que je suis juste un bout de plastique insensible et inutile. Mais tu te trompes !
Ah, si seulement je pouvais parler !
Je te féliciterais de m'avoir acheté !
Oui c'était un beau geste ! Un grand geste de courage ! Un merveilleux pari sur l'avenir !

Bien sûr, je reconnais que je n'étais pas cher.
Mais je ne m'y trompe pas. Je connais ta situation. Tu ne pouvais pas te permettre de gaspiller, même quelques sous !  Mais rends-toi compte que c'est précisément pour cela que tu m'as acheté ! Parce que je ne suis pas du gaspillage. Parce que je suis la plus belle manière de forcer le destin. Parce que je suis l'assurance que tu ne seras pas pris au dépourvu quand la chance te sourira ! Maintenant que je suis à côté de ton lit, ce n'est plus qu'une question de jours avant que la vie ne t'offre le bonheur de m'utiliser enfin !

Oh, quand je dis « bonheur », je m'entends. Je reste humble. Je sais bien que ce n'est pas exactement moi qui te le procurerai. Je ne serai pas la cause, mais le signe de ton bonheur : si tu as besoin de moi, ce sera signe que cela va bien mieux pour toi. Et je sais même que dès le jour – Dieu veuille qu'il vienne bientôt -  où tu devras m'employer, tu me considéreras aussitôt comme une entrave à ta liberté, et tu désireras ingratement poursuivre tes petites affaires sans moi. Je sais que l'homme est ainsi fait.

Mais je ne t'en veux pas. Je rêve quand même que ce jour arrive. Que tu me sortes enfin de mon étui de plastique, que tu me manipules entre tes doigts… Comme j'aimerais t'accompagner tout une nuit, une seule nuit. Comme ce doit être grisant !

Mais si ce jour arrive, sauras-tu m'utiliser correctement ?
Je suis simple. Un modèle basique, d'emploi évident. C'est du moins ce qu'a considéré mon fabricant, qui ne m'a pas joint la moindre notice explicative.
Peut-être.
Cependant, quand je te vois, allongé toute la journée à ne rien faire, à ne rien faire du tout, je me demande…

Oh… et puis à quoi bon me demander… ce n'est pas demain la veille que je te servirai !
Bon sang, mais arrête de me regarder comme ça !
Qu'est-ce que tu crois ? Qu'est-ce que tu attends ? Un miracle ?
La chance, la chance ! Je veux bien moi… Mais mets-y du tien aussi !
Je ne sais pas moi, sors ! Rencontre du monde, parle avec des gens, inscris-toi dans une association, fais-toi des amis… enfin ESSAIE D'AVOIR UN SEMBLANT DE VIE SOCIALE. C'est par là que ça commence, la chance.
Allez l'ami ! Tu es jeune, en pleine santé ! Un peu de courage !
Tu sais, il n'y a pas de fatalité.
Bien sûr, la solitude. Les refus, les échecs. Bien sûr, le chômage, depuis si longtemps que tu ne sais plus ce que c'est qu'un emploi. Bien sûr la timidité, le manque de confiance en toi… Bien sûr, bien sûr, bien sûr. Mais rassure-toi. Tout cela, il n'y a que toi et moi qui le sachions. Et moi j'ai confiance en toi. Une bonne douche, une chemise propre et repassée, et crois-moi, charmant comme tu es, rien ni personne ne pourra te résister.
Allez, quoi ! C'est le premier pas qui coûte tu verras. La roue tourne !

Un de ces jours, dans pas longtemps – j'en frissonne quand j'y pense – le téléphone sonnera.
À l'autre bout du fil, il y aura une voix féminine.
Une secrétaire.
Elle te proposera un rendez-vous.
Demain. 8 heures 30. Avec Monsieur le responsable des Ressources Humaines.

Alors là ce sera grandiose. Ce sera, notre première nuit ensemble.
Tu me saisiras. Tu me sortiras de mon étui de plastique.
Tu feras tourner mes engrenages et virevolter  mes aiguilles.
Toute la nuit, je t'offrirai la caresse de mon tic-tac, doux et régulier, et au petit matin viendra le moment d'extase où j'emplirai toute la chambre de mon cri clair et puissant.

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