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En cò de Mòni
19 avril 2007

Antigone

La pièce est carrée, douze mètres carrés, trois chaises grises, un grand bureau en mélaminé imitation pin.
Sur le bureau, un ordinateur ventile, on n'y prête plus attention. Une imprimante à aiguille, lente, bruyante, et règlementaire, attend son tour. Des piles de dossiers à classer.
Le long des murs blancs aveugles, un armoire metallique beige. Quelques documents officiels scotchés près de la porte.
De l'éclairage au néon, un des tubes a lâché. Son bourdonnement régulier remplit la pièce, pendant qu'ils la regardent les regarder sans desserrer les dents.

Ils sont trois hommes. Elle est seule.
Ils sont ici chez eux, avec la loi, le droit, le pouvoir et trois sourires de mépris.
Elle a presque vingt ans. Petite. Boulotte. Pas très jolie.
Elle les regarde. Elle se tait. Elle écoute le néon, elle se concentre sur son clignotement. Ça l'aide à ne pas trembler.

Ça les agace.

Ce matin, ils sont arrivés à 5h00, la ville dormait, l'immeuble dormait, Antigone et l'homme dormaient.
Ils n'ont pas fait de bruit dans l'escalier. Au quatrième étage, ils ont sonné à la porte.
Elle s'est réveillée. Elle a tout de suite compris que ce n'était pas le laitier.
Ils ont sonné à nouveau.
- Ouvrez !

Elle prend la main de l'homme pour lui offrir un dernier contact humain.
Il la laisse faire. Il a la main chaude comme un cadeau. Qui offre à qui ?
En un regard, en un sourire, ils échangent l'étonnement de ce savoir d'enfant qu'ils viennent de redécouvrir :
J'ai peur. Tu me prends la main. Et je n'ai plus peur.

Ils frappent, tambourinent, ils parlent plus fort.
- Ouvrez, nous savons que vous êtes là !
Elle ne bouge pas. Ils se tiennent la main. Ça les protège.

Ils n'ont pas eu besoin d'enfoncer la porte, elle ne pense jamais à la verrouiller.
Ils sont entrés dans l'appartement. Elle s'est placée debout devant l'homme, pour qu'ils n'entrent pas plus loin.
- Poussez-vous !
Elle a dit non.
- Pousse-toi salope !
Ce n'était pas vraiment un ordre, puisque c'était déjà fait. En crachant ces mots, ils l'avaient violemment jetée à terre. Ils ont saisi l'homme sur le lit, insulté, menoté. Il n'a pas cherché à se débattre.
Ils l'ont emmenée, elle aussi, au commissariat.

Maintenant, elle est seule devant eux dans cette petite pièce. Elle les regarde sans rien dire.

Qu'y a-t-il dans ce regard silencieux?
Tristesse?
Révolte?
Mépris?
Ou juste le néon qui clignote, et qu'elle écoute.

Ils ont un petit rictus mi-souriant mi-colère. Face à son silence têtu, les voilà qui beuglent, qui aboient.
- Tu te croies où ? On est en France ici au cas où tu sais pas ! Si t'es pas contente, tu peux te barrer avec ton bicot. Y a des lois ici !
Antigone, sans cesser de les regarder, sans cesser d'écouter le néon, parle d'un ton neutre et ferme.
- Il y a des hommes.
- Des bougnoules. Tu te prends pour sainte Marie ?
- Marie-couche-toi-là, oui !
Brève illarité des trois hommes.
- Trainée !
- Qu'est-ce que tu lui trouves, hein? Où tu l'as trouvé ?
- Dans le caniveau je suis sûr.
- Viens pas te plaindre de te faire cambrioler, violer ou égorger. On n'a pas idée de prendre chez soi n'importe quel déchet.
- C'est un homme.
- Tu parles ! T'as vu comme il pue ! Mon chien sent meilleur !
- C'est un homme.
- Il a pas de papiers, alors il dégage ! C'est tout.
- C'est un homme.

Antigone ne baisse pas les yeux.

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